Suicide : Le PLACARD de Benoît
Le PLACARD de Benoît : Pour sa mémoire.
Vous vous dites peut-être :
- « A quoi bon dénoncer l’homophobie au quotidien ? »
- « A quoi ce site (qui paraît être communautaire issu de cette ancienne émission du début des années 2000 « GAY GRAFFITI« ) peut-il servir ?? »
- C’est peine perdue que de penser un jour ne plus entendre dans la rue, au boulot ou et surtout dans la famille : « sale pédé »
- On est aux portes des années 2020, l’homophobie n’existe plus ou alors c’est anodin.
Il est vrai que moi aussi, certains soirs, seul devant mon micro, je me suis pris à douter. Certains soirs, seul dans ce studio avec ma pile de papier pleine d’infos diverses, mes disques et les platines, je me posais des questions :
- Ne suis-je pas l’animateur de radio pour une poignée de copains homos, genre « animateur pour potes du bout de la rue » ?
- Est-ce que je sers vraiment à quelque chose ? A quelqu’un ?
- Passer cinq heures dans les studios de Radio Latitude a-t-il vraiment un sens ?
- Dois-je continuer ou devrais-je laisser tomber et passer mes vendredis soirs auprès de mes amis ?
Qu’on le veuille ou non, le doute est toujours présent, surtout quand les auditeurs ne réagissent pas, ne se manifestent pas …
Bien sûr, je savais que la réponse était : non.
Certains m’ont appelé durant l’émission : des gens que je ne connaissais pas pour me féliciter, pour me dire combien je leur apportais de l’air dans leur quotidien… Eux qui n’auraient jamais oser entrer dans un kiosque à journaux pour tendre la main vers la plus haute étagère, ceci afin d’attraper le magazine pédé « TETU » ou « Lesbia mag« ; Eux qui n’ont pas Internet auquel ils ne comprennent rien.
Mais bon, je relativise toujours, pensant que si je stoppais Gay Graffiti demain, peu importe la raison, au bout de quinze jours, tous l’oublieraient, point barre… et sincèrement, qui s’en souvient aujourd’hui ?
C’est avec ces doutes, mais surtout accompagné de ces manifestations chaleureuses que je produisais, chaque fin de semaine, GAY GRAFFITI. En me faisant plaisir d’abord, je communiquais ce plaisir souvent sans le savoir, cette allégresse, cette chaleur à des tas de gens enfermés dans leur placard…
Un vendredi soir, tout bascule !
Le vendredi 24 mai 2002 tout devait basculer pour moi ! Une lettre m’attendait aux studios de Radio Latitude. Elle avait été postée le mardi 21.
Après l’avoir lue, j’étais flatté mais surtout très inquiet : cette lettre ne me disait rien qui vaille. Benoît (son auteur) préparait une bêtise ; Je ne sais pourquoi j’en étais sûr mais je le savais !!!!!!!!! Aussitôt après l’émission, j’appelais aussitôt son ami (que je ne connaissais pas non plus), il m’apprenait que Benoît était dans le coma depuis deux jours des suites d’une tentative de suicide, ayant pris un cocktail détonnant auquel on ne réchappe que rarement !
Cette lettre dont l’expéditeur (Benoît), coordonnées et autres noms (son ami) seront tenus secrets du fait que ses parents ne savent rien de ce qu’il était, n’est publiée ici que pour convaincre les plus septiques d’entre vous qu’il y a encore du boulot et que cette émission, humblement, contribue à faire avancer les choses… même si celles-ci se font prier pour cela !
Lettre de B. verso et Lettre de B. recto ; Le texte intégral du courrier de B. est reproduit en fin de cette page. Pour des raisons de sécurité envers B. je publie ces pages sous forme de vignettes afin que son écriture ne soit pas reconnue.
Texte intégral de la lettre de B.
Salut mec,
Tous les vendredis j’écoute ton émission et c’est vraiment super !! Moi j’suis homo, mais je le vis très mal !! dur..dur.. J’arrive pas à m’assumer c’est horrible. Si mon père le découvre, il me fait la peau !! Pourtant j’ai 25 ans !! Alors merci à toi car tous les vendredis je m’évade en t’écoutant. J’ai entendu parlé de ton asso « HOMOSPHERE » : peux-tu en parler en détail dans une de tes prochaines émissions ? Je voudrais franchir la porte mais j’ai la trouille ! Je vis l’enfer ! Je drague bien des nanas pour l’image mais je souffre. J’ai eu des aventures vite fait avec des mecs du côté des petits jardins, mais BOF !!!
Ca me fait du bien de t’écrire. Je ne peux pas en parler ni dans ma famille, ni à mon boulot. J’ai un ami qui est au courant, il est super et tellement bien dans sa tête. Il me dit de vivre ma vi, de ne pas me soucier des autres. Facile pour lui, sa famille est au courant, pas de problème, il connait un tas de monde qui l’accepte en tant qu’homo et mène une vie à 200 l’heure. Sans lui je serais déjà mort !! Il m’écoute si bien, même si je lui prends la tête parfois. Comment peut-on être homo et libre dans sa tête ? Si un jour, tu cherches des gens pour ton assoc, tu devrais le contacter. Il a 33 ans, s’appelle E. et son téléphone est le 06 XX XX XX. Tel lui de la part de B. c’est mon prénom.
Si des gens comme toi et lui peuvent faire avancer les choses pour nous tous les coincés, ça ira peut-être mieux. Des fois je me sens si prisonnier que j’ai envie de me foutre en l’air. Troyes est une petite ville, les gens savent tout si vite. Je ne sais pas si j’ai bien fait de t’écrire mais j’avais envie de le faire. Ca me fait du bien. Merci vraiment pour ton émission. J’suis sûr qu’elle fait du bien à beaucoup de mecs comme moi. Merci Merci Benoît. Excuse pour l’écriture.J’ai tellement la trouille de moi que je l’ai déformé. Quel con je suis!!
A vendredi!! Tel à mon pote, il est super…
Chronologie :
- Lettre postée le 21 mai 2002.
- Le directeur de la radio, sans l’avoir ouverte bien sûr, me la remet le vendredi 24 mai 2002
- le soir même de la lecture de cette lettre, j’apprends le suicide de Benoît et son coma
- Je recevrais une seconde lettre de Benoît, écrite dans sa voiture, garée près d’une boite aux lettres postales, dans une rue aux portes de Paris.
- Après avoir envoyé une lettre à ses parents, une à son meilleur ami et une à moi-même, Benoît retournera dans sa voiture et passera le reste de la nuit dedans pour s’éteindre à jamais.
- C’est au petit matin que les riverains le retrouverons… sans connaissance … dans un coma avancé.
- Benoît décédera mardi 28 mai 2002 au matin, vers 5h du matin.
Benoît m’écrira donc une seconde lettre (ainsi qu’à son meilleur ami E. et à ses parents), juste après avoir pris son cocktail mortel. Cette lettre, sur les vœux de Benoît ne sera pas publiée ici.
Benoît ne sera pas au rendez-vous qu’il m’avait fixé pour le vendredi suivant : sa tentative de mettre fin à ses jours se soldera par 6 jours de coma profond avant de nous quitter. Benoît décède le mardi 28 mai 2002 au matin, vers 5h…. me laissant un goût amer dans la bouche, ré ouvrant une plaie dans mon cœur.
Benoît. : Gay Graffiti (ce site) sera dédiée à ta mémoire ; à toi et tous ceux qui comme toi ont souffert dans leur chair au point de vouloir nous quitter.
Benoît sois sûr que je penserai toujours à toi durant l’émission… ou en mettant à jour ce site…. qui, s’il est toujours en ligne, c’est pour entretenir ta mémoire …
Les homophobes de tous poils, qu’ils soient actif ou passif devant un homosexuel attaqué, harcelé, poussé à bout, ont du sang sur leurs mains ne serait-ce que du fait de laisser faire et ne rien dire. Ils sont tous plus ou moins coupable de complicité. Certains, à force d’être harcelés en viennent au suicide !
Puisse un jour, les responsables de la mort de Benoît (et de tant d’autres) payer pour tant de haine répandue sur vous…